Tribune de Frédéric Sicard, ancien bâtonnier de Paris, parue dans L’Opinion

Tribune de Frédéric Sicard, parue dans L'Opinion

«Pourquoi les droits de la défense devraient être mentionnés dans la Constitution» – La tribune de Frédéric Sicard

« Il nous faut retrouver le rêve du siècle des lumières d’autant que ce rêve est une réalité des textes constitutionnels modernes des autres pays. Quelles conséquences ? Un secret professionnel enfin absolu pour que chaque citoyen puisse confier ses tourments en confiance »

Tribune de Frédéric Sicard parue dans L'Opinion

Nous n’aurons la paix que lorsque les droits de la défense seront reconnus constitutionnels.

L’organisation judiciaire française a besoin d’apaisement.

Il est enfin question de reconnaître constitutionnellement et concrètement l’indépendance du parquet. Il est urgent d’adopter la mesure parce que la France doit absolument se mettre en conformité avec ses engagements internationaux, dont ses engagements européens. Les nouvelles lois font des magistrats du parquet non pas seulement une autorité de poursuite mais aussi une autorité d’enquête pour ne pas dire d’instructions ace des pouvoirs de contraintes qui sont des pouvoirs de justice.

Le projet de réforme constitutionnelle tient donc du remède alors qu’il faudrait qu’elle soit une ambition.

C’est la même ambition que nous devons avoir pour les avocats ou plus exactement pour les droits de la défense de chaque citoyen.

Nous ne devons pas oublier que des guerres et de la défense du territoire est né le pays. C’est de la justice pour tous, et de la paix civile qu’elle garantit, qu’est née la nation.

Certes le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, si l’on excepte les hésitations régulières de la Chambre criminelle qui chicane, ont rendu des décisions reconnaissant cette valeur fondamentale donc constitutionnelle

Valeurs démocratiques. L’Europe ? Elle ne grandira que par son attachement aux valeurs démocratiques. La Hongrie et la Pologne se sont choisi des gouvernements extrêmes et autoritaires. Quelles mesures ont-ils prises pour faire taire toute résistance ? En Pologne, les magistrats soupçonnés d’être réfractaires sont actuellement éliminés. Il en est de même pour leurs avocats que l’on juge contestataire pour avoir osé assurer leur défense. Ils sont poursuivis comme le sont les journalistes qui protestent. Compte tenu de la position de la Hongrie il est impossible d’organiser la riposte à partir de Bruxelles. Cette riposte pour exiger des garanties de justice ne peut que des capitales des États membres et de la volonté de la majorité d’affirmer leur attachement aux valeurs démocratiques.

Or précisément la majorité de ces états ont des constitutions récentes ou récemment complétées qui reconnaissent la valeur constitutionnelle des droits de la défense. Pas la France.

Certes le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, si l’on excepte les hésitations régulières de la Chambre criminelle qui chicane, ont rendu des décisions reconnaissant cette valeur fondamentale donc constitutionnelle. Pas le Conseil constitutionnel qui préfère garder le silence sur ce sujet. De même le gouvernement et le parlement restent taisants.de temps en temps des discours, jamais d’actions.

Or il n’y a pas de justice sans magistrats indépendants et sans droits de la défense. Sans justice la nation va à sa perte. Les politiques de gestion des flux, entendez par là pas d’audience ou alors très vite ou alors de loin, en visioconférence, de désertification par regroupement, de réduction des moyens sont des politiques qui mènent à la ruine de l’autorité d l’Etat. Songeons que pendant la crise sanitaire la justice a quasiment cessé de fonctionner, ce qui n’était pas arrivé en France depuis mille ans.

Les récentes annonces d’augmentations budgétaires permettent d’augurer d’une prise de conscience des pouvoirs publics.

Ambition. Mais il nous faut plus. Il nous faut une ambition. Il nous faut solenniser les missions que le texte constitutionnel de 1958 a réduites à une autorité judiciaire en refusant la séparation et la reconnaissance des trois pouvoirs prônées par Montesquieu sans oublier la reconnaissance des droits de la défense si chère à Voltaire. Il nous faut retrouver le rêve du siècle des lumières d’autant que ce rêve est une réalité des textes constitutionnels modernes des autres pays.

Quelles conséquences ? Un secret professionnel enfin absolu pour que chaque citoyen puisse confier ses tourments en confiance ; un régime enfin structuré par une loi organique (comme en Suisse) pour que l’aide juridique et juridictionnelle des plus modestes ne dépende plus des aléas des décisions budgétaires annuelles ; une revalorisation du rôle des ordres d’avocats (institutions multiséculaires) seuls susceptibles d’assurer le maillage territorial et la promotion générale du droit ; une réforme de la retraite qui garantisse au moins l’indépendance de la profession des décisions des pouvoirs publics (l’exemple polonais des mises à la retraite obligatoires des récalcitrants est suffisamment inquiétant) ; la reconnaissance du caractère juridictionnel des décisions des bâtonniers et des Conseils des disciplines (faut-il rappeler que c’est une des premières mesures prise par Louis-Philippe en septembre 1830 pour donner des gages du respect des libertés) ; peut-être un aménagement fiscal pour les particuliers afin d’égaliser l’accès à la justice pour lequel les entreprises peuvent déduire 20 % de TVA ; ou encore une autorégulation renforcée des barreaux d’un bout à l’autre de la chaîne de décision, appel compris (les magistrats de la cour sont actuellement juges d’appel) avec si nécessaire un contrat d’objectifs. Cette ambition constitutionnelle ne concerne donc pas seulement les avocats mais bien toute la cité.

Elle ne doit pas être un rêve mais un espoir, le souffle renouvelé d’une nation démocratique !

Frédéric Sicard est ancien bâtonnier de Paris.

 

Par Frédéric Sicard, le 16/10/2020

Retrouvez cette interview sur le site www.lopinion.fr

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