Stéphanie Rivoal – Présidente du Conseil Stratégique Afrique du groupe DUVAL
Quel constat faîtes-vous sur l’égalité femme-homme dans notre société ? Quelles sont vos pistes de réflexion pour atteindre cette égalité réelle ?
Il y a des progrès mais le compte n’y est pas. Prenons l’exemple des Conseils d’Administration que je connais un peu. La loi Copé-Zimmerman a donné un coup d’accélérateur à la parité au sein des conseils (mais pourquoi 40% et pas 50% ?) et c’est un progrès énorme mais du côté des Comités Exécutifs, malgré la loi Rixain, non, le compte n’y est pas. Du tout. Dans le SBF 120, en 2022, il manquait encore 212 femmes dans les Comex. Seulement 11 entreprises avaient atteint les 40% requis. Et quand il y a des femmes, elles sont trop souvent cantonnées aux postes fonctionnels de direction des ressources humaines ou de la communication (elles en occupent les deux tiers en 2022). Rarement aux postes opérationnels, financiers ou stratégiques. La raison souvent évoquée est celle du vivier, dans lequel on manquerait de femmes. On se lamente en disant : « mais comment nommer des femmes quand il n’y en a pas assez à nommer ? ». Ben oui, c’est ballot. C’est pas qu’on veut pas, c’est qu’on peut pas. Le problème serait donc en amont, du moins en partie. Les femmes n’arriveraient pas à atteindre le même niveau d’expérience que les hommes afin de pouvoir être éligibles aux postes à responsabilités. Et ces postes sont si prenants qu’il vaut sans doute mieux les confier aux hommes… Arrive donc assez rapidement le sujet des congés maternité puis de qui s’occupe des enfants. Ne nous voilons pas la face, la France reste très conservatrice sur ces sujets même si les jeunes changent progressivement de mentalité. Première mesure donc : le congé paternité obligatoire de la même durée que les femmes. C’est ça aussi l’égalité, que l’homme soulage la femme qui vient d’accoucher, et tisse un lien avec son enfant dès le berceau. Si hommes et femmes sont désormais logés à la même enseigne, les recrutements ne tiendront plus compte de ces absences qui arriveront autant aux hommes qu’aux femmes. Quant à s’occuper des enfants, pourquoi les écoles appellent toujours les mamans en premier ? C’est le logiciel entier de la société qu’il faut changer. Ce sera long et difficile et le compte n’y est pas.
Saviez-vous que dans le monde de l’entreprise, ce sont les hommes qui monopolisent la parole ? L’étude date un peu et elle est anglaise mais tout de même. 75% du temps de parole en réunion est accaparé par les hommes (2012, Brigham Young University and Princeton) et n’allez pas me dire que c’est différent en France… Les femmes sont bien plus souvent interrompues que les hommes. Cela s’appelle l’« hommeinterruption ». Notion anglo-saxonne, importé des Etats-Unis, comme le wokisme et qui ne s’appliquerait pas à nous, Français ? J’espère que vous plaisantez. Combien de fois m’a-t-on reproché de couper la parole en réunion ? Mais si je ne le fais pas, alors mon temps de parole, en tant que femme, est toujours écourté. Femme autoritaire, agressive… Combien de fois n’ai-je pas entendu cela ? Alors que les mêmes attitudes chez les hommes sont appelées autorité et charisme. On est loin, je vous le dis. Et je ne me plains pas, je constate, même si ce n’est pas facile tous les jours. Le combat de l’égalité homme-femme réelle ne se gagnera qu’avec les hommes donc ma requête est : ne soyez pas féministe, messieurs, laissez-nous l’être pour défendre nos droits. Ce que l’on attend de vous, c’est de nous laisser l’espace, le temps de nous exprimer, c’est de nous laisser de la place dans la société. Le pire est souvent que vous ne vous rendez pas compte que vous vous imposez. Les réflexes sont bien ancrés dans les pratiques. La bascule, c’est de vous taire (un peu) et de nous laisser parler, c’est de vous mettre en retrait (un peu) et de nous laisser décider. Merci.
Mais, même avec cette collaboration masculine, le premier obstacle, le plus important finalement à l’égalité hommes/femmes réel, ce sont nous, les femmes. Le premier logiciel à changer est celui qui est logé dans nos têtes. Combien de jeunes femmes ai-je conseillé qui me disaient qu’elles n’allaient pas postuler li ou là parce qu’elle n’avait pas le niveau ? Que la marche était trop haute ? Qu’elles n’avaient pas encore acquis l’expérience nécessaire ? Combien de femmes prennent « naturellement » la place à la cuisine ou s’occupent des enfants, excluant de facto l’homme de ces activités ? Notre place, chères amies, n’est pas à la cuisine. Comment en est-on arrivé là ? En voyant nos mères prendre ces postures à la maison, certainement. En observant les modèles de société avec (chiffre le plus haut de l’histoire) seulement trois femmes dirigeantes du CAC 40 ? C’est clair. En faisant le rapide calcul du pourcentage de femmes cheffes d’État dans le monde ? 32 sur 195 fin 2022, moins de 17%. Quel exemple donnons-nous aux jeunes filles ? Celui d’un monde qui se décline au masculin. Alors, oui, on peut commencer à l’école. Mais où sont les enseignements de l’égalité fille-garçon ? Partout et nulle part. On ne peut pas s’attendre à ce que les filles pensent différemment vu le monde dans lequel elles évoluent. Et pourtant, chères amies, chères sœurs, il n’y a objectivement rien qui nous empêche de faire ce que nous voulons, métier « d’homme » ou pas, cuisine ou chantier, cheffe d’entreprise ou présidente. Rien. Ce que nous voulons, nous pouvons l’avoir. Ce que nous nous interdisons de vouloir, nous pouvons nous autoriser à le désirer. L’ambition peut aussi être féminine. Nous avons les capacités, nous avons les compétences, nous avons l’expérience, nous avons le caractère, nous avons en plus l’empathie, l’humilité, l’écoute. Nous avons tout. Nous allons donc chacune être des pionnières, pour briser les murs, les plafonds, les falaises de verre qui se dressent devant nous. Nous le ferons car nous serons solidaires des unes des autres, nous le ferons avec les hommes éclairés qui nous laisseront de la place, nous le ferons pour nous et pour nos filles et pour toutes les autres filles du monde, pour leur survie, pour leur liberté, pour leur épanouissement, pour leur bonheur tout simplement.
À propos de Stéphanie Rivoal :
Depuis 2020, membre du Conseil de Surveillance de MERIDIAM, entreprise à mission et fonds d’investissement français en infrastructures à impact. Depuis 2021, trésorière de la Fondation Énergies pour le Monde, présidée par Jean-Louis Borloo, membre du conseil d’administration de COLAS SA. Depuis 2022, Présidente du Conseil Stratégique Afrique du groupe DUVAL, groupe familial de promotion immobilière, tourisme, grande distribution, assurances et microfinance. Ancienne Ambassadrice et Secrétaire Générale du Sommet Afrique-France de Bordeaux (prévu en juin 2020 et annulé pour cause de COVID). Anciennement Ambassadrice de France en Ouganda de 2016 à 2019. Anciennement membre du conseil d’administration d’ACF (Action Contre la Faim) 2007 à 2016, trésorière, vice-présidente, puis présidente de l’association. Missions humanitaires au Soudan et au Liban en 2005-2006. Dix ans en banques d’affaires à Londres chez Goldman Sachs, CAL FP (Crédit Agricole Lazard Financial Products) et JPMorgan-Chase de 1993 à 2003. Diplômée de l’ESSEC en 1993. Depuis 2003, photographe-auteur sur des sujets principalement sociaux comme les personnes fragilisées par la maladie, la dépendance, la prison ou la pauvreté. Auteur d’Ambassadrice par Effraction, Éditions L’Harmattan 2022.
Elle est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur en janvier 2014 et Officier de l’Ordre National du Mérite en janvier 2020.