Interview de Christophe Bertrand, chocolatier, Secrétaire général de la Confédération des chocolatiers et confiseurs de France

Vous êtes un chef d‘entreprise, propriétaire de l’enseigne « Reine Astrid », mais également un artisan chocolatier très investi dans les actions solidaires, en Haïti, puis en Afrique. Comment cette rencontre entre le chocolat et le développement durable est -elle apparue ?

J’ai grandi en Afghanistan, en Thaïlande et en Algérie, baigné dans une ouverture d’esprit et une famille engagée dans la solidarité. En 2010, c’est d’abord le Conseil Général des Hauts-de-Seine qui m’a entraîné dans son projet cacao, proposant à certains pays d’organiser des coopératives pour favoriser la fermentation du cacao. Ce cacao conventionnel non fermenté était vendu 0,7 cts du kg aux Américains pour enrober des barres de céréales. Aujourd’hui, grâce à la fermentation et au fait que ce soit des coopératives qui négocient, le cacao a pris ses lettres de noblesse et des notes particulières de camphre et est vendu bio et équitable à 2,2 euros du kg.

Au Cameroun, c’est une femme qui m’a contacté en 2017 et qui a pris le risque de m’envoyer 200 kg de fèves de cacao, souhaitant sortir du système conventionnel pour trouver des acheteurs en direct. Touché par son audace, je suis allé les rencontrer en mai et leur ai proposé de mettre en place la même action que nous avions faite en Haïti, mais à l’échelle de leur village.

 

Le Cameroun est le pays dans lequel vous avez initié des coopératives paysannes et développé des bonnes pratiques agricoles. Pouvez-vous nous décrire vos actions dans ce pays et leurs conséquences sur la filière du cacao ?

Le Cameroun est le 5ème pays producteur de cacao, mais les planteurs ne le fermentent pas (ou mal). Du coup, personne ne sait à quoi il est utilisé et aucun Français n’était capable de dire qu’il avait goûté du chocolat issu de fèves camerounaises. Ainsi, en organisant une coopérative pour fermenter et bien sécher le cacao, nous avons permis d’y développer une note très particulière de raisin et de figue que les consommateurs adorent. J’ai proposé de leur payer 2,5 euros du kg (contre les 1 euros reçus habituellement). Depuis, nous avons fait 2 tonnes en 2018, 14 tonnes en 2019, 40 en 2020 et le village devrait produire 60 tonnes pour 2021. Autant dire que c’est l’ensemble du village qui va voir son niveau de vie bouleversé. Ce modèle a inspiré le CICC (Conseil Interprofessionnel du cacao et du café) qui, avec mon soutien et celui de la Confédération des Chocolatiers Français, a décidé d’engager le Cameroun sur la voie de l’excellence (plutôt que la course aux volumes) et a inauguré 6 coopératives sur ce modèle depuis 2018.

J’ai également levé des fonds pour leur construire un entrepôt de stockage et suis parti 15 jours avec 10 jeunes de mon village, dont 2 de mes enfants pour rénover leur école.

 

Vous êtes également Vice-président de l’association « chocolatiers engagés », composée d’artisans passionnés et respectueux de l’environnement. Pouvez-vous nous présenter cette association et les grandes lignes de sa charte d’engagement ?

C’est simple, jusqu’à présent, aucun label éthique ne s’engageait sur la qualité. Nous, petits artisans, avons décidé de labeliser des coopératives regroupant uniquement des petits planteurs, favorisant le travail des femmes, mettant en place de l’épargne salariale et évidemment, fermentant leur cacao. Surtout, nous nous engageons sur un prix, lassé d’entendre les industriels nous promettre le « juste prix » … (qui est souvent un peu juste !)

Une cinquantaine d’artisans nous ont déjà rejoint et nous espérons que les consommateurs comprendront rapidement l’intérêt de cet « engagement ».

 

Vous êtes donc très engagé dans la transformation de la filière cacao. Quelles actions les pouvoirs publics pourraient-ils initier, pour que le consommateur puisse reconnaître le goût du chocolat et faire un choix, comme on peut le faire par exemple aujourd’hui avec un vin ?

Aujourd’hui, les consommateurs n’achètent plus un cubi de vin rouge à 8 degrés d’alcool. Ils se renseignent sur la provenance géographique, le cépage… Il doit en être de même pour le chocolat. Les consommateurs doivent comprendre qu’il ne faut plus acheter du « chocolat » s’il n’est pas issu d’un pays. Je crois qu’un député s’intéresse à l’idée d’obliger l’industrie à cette traçabilité. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un premier pas pour que le vrac, coté en bourse et acheté lorsque les prix sont au plus bas, disparaisse. Evidemment, la compréhension de l’intérêt de la fermentation pour le goût et par conséquent la rémunération des planteurs se pose. « Chocolatiers engagés » est un premier pas pour cibler les cacaos bien fermentés.

 

Dans cette crise de la covid-19 qui touche de plein fouet les commerçants et les artisans, qu’attendez-vous du plan de relance présenté par le gouvernement ?

J’aimerais tant un peu de simplification dans les couches de complexité que notre administration se plaît à nous contraindre en permanence. Et, défendre un peu les artisans qui sont démunis face à leurs salariés lorsqu’ils se mettent en arrêt maladie pour un oui ou un non, faisant planer en permanence des menaces prudhommales.

Enfin, je rêve d’un système de participation des salariés où l’argent resterait sur le compte de la PME ; simple jeu d’écriture du comptable qui pourrait être garanti en cas de défaillance de la PME par la SIAGI, par exemple. Ainsi, la PME qui manque de trésorerie, pourrait maintenir la participation de ses employés au lieu de la verser sur un compte à la banque. L’argent servirait à la PME, et non au système financier, et pourrait être utilisé comme mise de fond au cas où les salariés souhaitent racheter leur entreprise un jour.