De l’intérêt de la formation et de la sensibilisation des entreprises
par une patiente experte.
Je suis patiente experte en addictologie. Après avoir connu la dépendance (alcool, nourriture, tabac, médicaments) et m’en être libérée avec les soins et la parole depuis plus de 12 ans, j’ai suivi une formation universitaire et une formation hospitalière afin de pouvoir aider tout public en lien direct ou proche avec des addictions. J’ai choisi d’intervenir comme formatrice dans les entreprises afin notamment d’aider à libérer la parole autour de ce sujet si tabou.
Mon expérience montre que, souvent, les participants ne veulent pas assister à ces formations. Voici quelques-unes des raisons de leur réticences : « Mes consommations relèvent de ma vie privée ou de la vie privée de mon collègue. Ce n’est surement pas dans mon entreprise que je vais en parler. », « J’espère que mes consommations ne sont pas vues et que je ne vais pas être repéré(e). », « J’ai déjà suffisamment de problèmes dans ma vie et donc il n’est pas question que je m’occupe de ceux des autres. », « Ce que font mes collègues chez eux ne me regarde pas.», « L’addiction est une question de volonté et donc mes collègues n’ont qu’à prendre sur eux. », « Si je parle de ce sujet à mon collègue, j’ai peur qu’il se fâche et, pire encore, qu’il m’en veuille. »…
Organiser un tour de table en début de formation permet l’expression de paroles ou pensées réalistes, existantes et souvent tues. Cette première étape permet des échanges plus concrets et donc plus constructifs.
Ces formations, qui relèvent de la prévention, ont également pour vocation de permettre aux participants de comprendre que l’entreprise n’est pas exclusivement un lieu où l’on travaille mais qu’elle est également un lieu où les difficultés peuvent s’exprimer et être prises en compte.
Face aux addictions, on observe trois mondes dans l’entreprise.
Tout d’abord le monde de ceux qui voient et/ou n’osent pas parler. Encadrant, salarié, collègue sont témoins de la dégradation d’une personne qui s’enfonce chaque jour. Mal à l’aise, ne sachant pas comment aborder le sujet, ils ont peur de se tromper, d’être blessants, voire de susciter une mauvaise réaction.
Ensuite le monde de ceux qui ne peuvent et/ou ne veulent pas demander d’aide. Ce sont les personnes qui, jour après jour, perdent la bataille contre leur produit ou leur comportement addictif (cyberdépendance, smartphone, réseaux sociaux, jeux vidéo, jeux d’argent, pornographie, nourriture, procrastination, etc.). Ils ont honte de ne pas pouvoir contrôler leur comportement. Face à cela, ils perdent progressivement l’estime et la confiance en eux-mêmes. Certains se disent : « Comme on ne m’en parle pas, cela veut dire que ça n’intéresse personne et donc après tout, pourquoi ferais-je quoi que ce soit pour diminuer ou même arrêter ? ». Autre effet pervers de cette absence d’échange, ils peuvent penser « Si on ne me parle pas, cela signifie que cela ne se voit pas. Et si cela ne se voit pas, cela signifie que cela n’existe pas, donc je n’ai pas de problème. ».
Enfin, il y a le troisième monde. Il s’agit de ceux qui ne voient pas, ne parlent pas et ne se posent pas de questions, ni pour eux-mêmes, ni pour les autres.
En observant ces trois mondes coexister, et sans grille de lecture, nous avons l’explication du silence qui empêche d’ouvrir les yeux, de demander de l’aide et d’essayer de changer les choses. Et ce silence tue plus que les produits.
Un de mes rôles de patiente experte formatrice est de rompre ce silence, d’ouvrir la discussion vers un changement possible, d’aider une personne à s’identifier à mon expérience et d’apporter de l’espoir.
Ariane Pommery – de Villeneuve
BIOGRAPHIE de Ariane Pommery – de Villeneuve, Patient.e-Expert.e& Formatrice en addictologie
Libérée de ses addictions à l’alcool, à la nourriture et au tabac, elle s’est formée à ces problématiques et a obtenu un Diplôme Universitaire d’alcoologie à l’Université Paris V Descartes.
Devenue patiente experte dans le service d’addictologie du Professeur Lejoyeux à l’Hôpital Bichat Claude Bernard AP-HP en 2012, elle a accompagné de nombreux malades dépendants dans leur parcours de soin et dans leur apprentissage d’une vie sans dépendance.
En 2016, abandonnant son métier de juriste, elle choisit de devenir formatrice et intervenante en entreprises dans le domaine des addictions. Elle forme des intervenants de proximité en lien avec des personnes ayant des conduites addictives (médecins généralistes, travailleurs sociaux, magistrats, etc.) afin de leur apprendre comment aborder la question des addictions lorsqu’il n’y a pas de demande explicite.
Parce que les pratiques addictives peuvent avoir des conséquences sur la santé et la sécurité des salariés et que les conditions de travail peuvent parfois favoriser leur survenue, il est essentiel d’élaborer une démarche de prévention collective associée à la prise en charge des cas individuels dans les communautés de travail. Elle intervient donc dans les entreprises afin de sensibiliser et former les managers et les salariés à la problématique addictive en leur donnant des outils concrets pour gérer les situations individuelles qu’ils peuvent rencontrer. A la demande d’entreprises, elle prend également en charge le suivi individuel de salariés en difficulté avec les produits et cela en lien avec les DRH et les médecins du travail.