COUP DE CŒUR 2019 – Yasmina Jaafar

Journaliste et fondatrice de la laruchemedia.com, Yasmina Jaafar, en experte des systèmes médiatiques, s’alarme de l’abandon d’une approche culturelle de notre monde par la télévision, au profit du sensationnel et d’une immédiateté trompeuse qui brident la pensée.

Télévision : distraire, informer, instruire et la culture bordel !

Notre France vit une révolution forte et les mouvements récents viennent nous questionner en profondeur. Je constate une énergie du conflit, une envie d’en découdre, une dégradation dans les rapports humains, une difficulté à la relation. La relation est en danger ! Le rapport à l’autre n’est pas soigné. Les hommes et les femmes se taisent et se comparent.

Le mouvement du 17 novembre portait « des revendications justes et légitimes ». Les médias et ses nombreux commentateurs – dont trop peu de commentatrices, comme il est bon de le souligner en cette journée de la femme – trimbalent cette phrase comme un slogan. A force, elle ne transpire plus et les nuances se noient dans un brouhaha médiatique empreint de violence. Je dis attention de ne pas oublier dans tous ces échanges et dans ces nombreux débats : la culture.

La culture. Ce mot féminin rarement portée par une femme dans les médias. Léa Salamé et Stupéfiant ! forme une exception… Ce mot qui fait peur aux chaînes de télévision, aux fabricants de programmes et aux artistes eux-mêmes qui parfois n’hésitent pas à se censurer pour exister. Exister mal, mais exister ailleurs. Exister quand même quitte à se trahir. Nous devons nous le réapproprier. Ne l’abandonnons pas au néant. A une poussière boueuse. Il est impératif de saisir toutes les facettes de cette crise. Et puisque crise/crisis signifie « assaut » « opportunité à saisir » en latin alors prenons le pour dit et envisageons cet événement et ce tremblement comme l’instant où nous pouvons nous rassembler par la culture, via la culture et grâce à la culture.

Aucun peuple ne survit sans culture. Elle est le socle commun. Celui sur lequel nous naissons, nous vivons et nous mourrons. La culture invente le lien entre les Hommes et les Femmes. Oh oui c’est bateau et facile diront certains cyniques, blasés et égoïstes mais dire, redire, répéter, rappeler, soumettre, transmettre est fondamental aujourd’hui. L’agressivité fait rage. Les colères s’affichent librement sans plus aucune retenue jusqu’à tenter de cramer la maison d’un élu, jusqu’à défoncer la porte d’un ministère, jusqu’à l’écoeurement et le dégoût. Ces actes salissent au passage ce qui faisait la genèse d’une rebellion saine.

Alexis de Tocqueville disait dans « De la démocratie en Amérique » (1848), que là où il y a une révolte, il y a une avancée de la démocratie – Francis Yaiche, professeur des universités et membre du Club de La Ruche Média a développé cette idée ici. (Mettre lien hypertexte)- . Mais n’oublions pas que la culture doit faire partie du débat. L’école et l’Education Nationale nous apprennent à lire, à compter et à écrire mais il semblerait que l’essentiel ait été oublié : nous apprendre à dire et à penser.

La télévision a longtemps été pensée – par les hommes – comme un vecteur d’émancipation et d’ouverture d’esprit. Réalité ou désir vain ? Quoi qu’il en soit Mr Pivot, Mr Poivre D’Arvor, Mr Busnel, Mr Taddeï, Mr Durand…. – Que de « Mr » remarquez-vous ? – ont largement contribué aux belles heures de la Culture à la télévision pendant que d’autres intellectuels arguaient qu’il s’agissait là d’un vieux rêve positiviste : former et intéresser la masse à la culture, quelle utopie…

Ce média peut-être encore pensé – et désormais incluons les femmes pitié – comme un instrument culturel. En tant que productrice, en tant que française, en tant que femme, je ne souhaite pas abdiquer. Certes sous de Gaulle, le petit écran se devait de remplir une mission éducationnelle avec une mise en avant du patrimoine mais en 2019 rien n’est plus pareil. Seul l’info d’émotion et une téléréalité anémiée encombrent nos écrans alors qu’un mouvement inédit investit le champ social, politique et médiatique. La lucarne nous fournit que des boucles d’images à sensation sans mettre le doigt sur un angle culturel. Juste pour transmettre, la TV 2019 doit s’emparer de ce sujet pour faire entendre les revendications différemment. Elle doit convoquer l’histoire, les auteurs, les philosophes, les écrivains… Pourquoi ne sont-ils pas invités sur des plateaux télé ? Ou trop peu… Est-ce à dire que le mouvement des gilets jaunes m’intéresse pas l’élite culturelle qui croit voir s’énerver une bande de « beauf » couleur poussin ? Ou est-ce que ça n’est pas assez vendeur pour les diffuseurs de tendre le micro aux penseurs ?

Même si l’époque change, même si nous nous ne sommes éloignés d’une télévision artisanale, même si les défis économiques façonnent les programmes de masse, je souhaite encore possible de pouvoir parler de culture à la télévision. Je souhaite encore possible de pouvoir parler d’une télévision qualitative surtout en période de transition et de crise. J’espère une télévision mixte réellement représentative d’une France moderne et multiplie.

Les français et les françaises s’agitent depuis le 17 novembre. Les Français et les françaises veulent dire. Les Français et les françaises veulent participer et réagir mais ils doivent aussi penser. La culture nous y aide. Elle cimente, elle forge un esprit. Elle ne nous oriente pas. Elle ouvre, elle comble et elle vit. Vivons avec elle.

Elle comme France
Elle comme culture
Elle comme femme…

A propos de Yasmina Jaafar
Si ma mère a grandi à Marrakech et mon père à Fès, je suis née le 11 avril 1974 à Livry-Gargan en Seine saint Denis. Conseillère Artistique pour la télévision, j’ai travaillé pour Tout le monde en parle Thierry Ardisson, C dans l’air Yves Calvi. Puis auprès de Guillaume Durand pour Campus avant de rejoindre Canal Plus puis France 3 et Frédéric Taddeï pour Ce soir ou jamais. J’aurais aimé créer le personnage de Nana et je ne cesse de relire Romain Gary et Stefan Zweig.
Fondatrice du site www.laruchemedia.com et de la société La Ruche Média, je suis productrice et spécialiste communication politique/médias. J’interviens sur différentes antennes (Cnews, Public Sénat, France Info, LCI…).

Mes Publications
« Elle et moi » dans Eloge de la graisse (J-C Gawsewitch, 2006),
« Corps à corps » dans 11 femmes (J’ai lu, 2008),
« JMB, un autre regard » dans Basquiat Jean-Michel (Stéphane Million Editeur, 2009) 

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