Retrouver le désir du français
Par Juan Pirlot de Corbion fondateur de Youscribe
Notre langue commune nous dit-on peut retrouver toute sa place sur l’échiquier mondial. Encore faut-il susciter l’envie de s’y adonner et d’en redécouvrir les multiples facettes par une offre d’apprentissage et de diffusion adaptée aux diverses réalités rencontrées et aux usages de l’ère numérique.
Quand le Président Emmanuel Macron répète à l’envi que le français peut devenir la deuxième langue parlée au monde, il ne faut pas y voir seulement le vœu pieux d’un politique, mais bien plus l’analyse réaliste d’indicateurs qui pointent l’expansionnisme démographique des pays de la zone francophone. Les populations francophones dans le monde devraient en effet tripler d’ici 30 ans, selon l’OIF*, faisant passer le nombre de locuteurs de 274 millions aujourd’hui à 750 millions en 2050.
L’Afrique sera le principal creuset de cette expansion du français, dont l’histoire nous enseigne qu’il a toujours choisi la culture comme premier mode de diffusion. C’est donc avant tout avec elle que nous devons continuer de bâtir un espace francophone symbole d’ouverture et de respect des identités, en misant fortement sur l’éducation et la diversité des expressions.
Quelques 170 millions d’élèves supplémentaires devront être scolarisés d’ici 2030 en Afrique selon l’Unesco. A l’aune de ce constat, on mesure combien l’enjeu est immense et enthousiasmant. Les Etats qui consacrent déjà en moyenne 17 % de leurs budgets à l’éducation, l’ont bien compris et accueillent avec bienveillance les diverses initiatives qui peuvent accompagner cet effort et multiplier les chances de réussite. Dans cette mission de formation des nouvelles générations, les outils numériques seront des alliés précieux pour pallier l’insuffisance des infrastructures sur le terrain ou les difficultés de déplacements liés à l’immensité du continent. Alpha Condé, le président guinéen, a ainsi récemment déclaré à L’Opinion.« Nous avons du retard à rattraper et les nouvelles technologies vont nous aider à transformer notre système éducatif en permettant notamment de diffuser des cours de qualité dans les endroits les plus reculés». Un choix d’autant plus pertinent que les Africains ont su prendre le virage numérique. Les startups du continent se montrent particulièrement agiles, pour développer des usages innovants du mobile en matière bancaire ou commerciale et des applications qui répondent aux enjeux de société actuels que sont le développement durable, l’économie circulaire, l’esprit coopératif et le lien social.
Dans les domaines éducatifs et culturels, la France a un rôle de premier plan à jouer, en s’appuyant sur ses acteurs économiques à l’origine d’innovations pour l’usage du français et la diffusion de la culture francophone. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, souligne à ce sujet : « plus une société est technologique, plus il faut renforcer ce qui fait son humanité. Et cela passe par la lecture ».
Le développement et l’usage de plateformes numériques en streaming qui donnent accès à une multitude de ressources de lecture, à l’image de Netflix ou de Spotify, sur un simple écran de smartphone ou de tablette, constitue l’une des pistes les plus prometteuses sur un continent qui ne dispose que d’une bibliothèque pour 1 500 000 habitants en moyenne et très peu de librairies, quand en France nous bénéficions d’une bibliothèque pour 6 500 habitants.
Une vitrine pour sortir le français de l’image passéiste qu’on veut lui accoler en démontrant notamment aux jeunes générations qu’il peut aussi être une langue pragmatique, une langue du business, du numérique, de l’innovation, de l’intelligence artificielle, du divertissement, bref une langue en phase avec son époque.
Le moyen aussi de constituer des bibliothèques ouvertes enrichies par les publications de ses utilisateurs, partagées et résolument francophones au sens où chaque locuteur, par ses mots, ses tournures, ses savoirs, son esthétique, peut dialoguer avec les autres.
Comme le soulignait Bernard Pivot il y a peu : « chaque mot a une identité, un état civil, une histoire, des amis et des ennemis, un ou plusieurs sens.». Chaque mot a sa propre biologie. Dans cette idée de promotion de la langue française que le Président Macron relance aujourd’hui, il y a cette envie que l’usage du français, sa lecture et ses valeurs, puissent être à la portée de tous, simplement et que la technologie qui en est le support, soit un vecteur de partage, de découvertes, d’humanité et de désir du français.
Lire ne donne-t-il pas le goût des autres ?
*Organisation Internationale de la Francophonie.
Juan Pirlot de Corbion – Fondateur YouScribe : retrouver le désir du français – tribune parue dans Les Echos le 20 mars 2018.